Comment pourrions-nous mieux accompagner le milieu des arts et de la culture face aux défis numériques?

Les questions commençant par « Comment pourrions-nous » font partie de ma pratique professionnelle depuis que j’intègre certains principes du design thinking dans mes mandats. Ces questions sont courtes, inspirantes et surtout mobilisantes. Elles permettent de lancer un processus d’idéation afin de trouver des solutions collectives. C’est le point de départ pour générer des idées à partir d’un point de vue et confirmer l’intention de trouver des solutions, parfois complexes, mais surtout adaptées à une clientèle donnée.

Ainsi, par ce billet, j’offre une occasion de se poser la question pour réfléchir à l’avenir souhaité et souhaitable de nos programmes d’accompagnement du milieu artistique et culturel du Québec. 

La genèse des programmes d’accompagnement

Le Plan culturel numérique du Québec (PCNQ) a été lancé, par le ministère de la Culture et des Communications du Québec (MCC), en 2014. Il était accompagné d’une enveloppe de 110 M$ d’investissement prévu sur sept ans.

Dès lors, la première mouture du PCNQ a permis l’éveil des grands réseaux de l’écosystème culturel. Le MCC, ses sociétés d’État et certains regroupements nationaux, nommés « mandataires », ont pris conscience des enjeux associés à la littératie et au développement des compétences numériques des milieux comme prémisse à la transformation numérique. Ladite transformation numérique ne pouvant pas avoir lieu si les travailleurs culturels issus de ces organisations n’étaient pas sensibilisés et engagés face aux défis numériques. S’ouvrait ainsi un véritable chantier sur l’accompagnement et l’appropriation des milieux. 

Du côté de Culture pour tous, la création du Lab culturel (mesure 37), en 2014, a permis de favoriser le développement de projets culturels innovants. À ce jour, ce sont sept cohortes qui ont été mises en place permettant d’accompagner 43 organismes, artistes, travailleurs et travailleuses autonomes. Dans le cadre de la mesure 30, l’organisme a aussi misla mise en place d’un nouveau volet numérique pour lesdes Journées de la culture (mesure 37). 

En 2015, Compétence Culture s’est engagé dans le développement des compétences numériques des artistes et des travailleurs culturels en devenant mandataire de la mesure 21 du PCNC. J’ai eu la chance de développer les contenus et de former l’ensemble des associations nationales et des conseils régionaux dans le développement des compétences numériques. Aujourd’hui, le développement des compétences numériques fait partie intégrante des plans de formation continue des associations nationales et des conseils régionaux de la culture partout au Québec. 

En 2016, l’équipe du PCNQ souhaitait mettre à profit l’expertise de la fonction publique. C’est ainsi que le MCC a commencé à former également les conseillers oeuvrant au sein du ministère. J’ai alors partagé un mandat de formation (une journée dans le cadre d’un programme beaucoup plus étoffé) avec Martin Lessard, également consultant à l’époque.

Au même moment, il était fascinant d’observer sur le terrain l’émergence de communautés de pratique (souvent sur Facebook) qui s’articulaient autour d’un écosystème numérique favorable au développement culturel. C’est à cette même époque que nous avons créé le groupe Facebook Les arts, la culture et le numérique grâce à l’apport de Marika Laforest (alors au Lab culturel) et de l’organisme Québec numérique. Que ce soit les réseaux des FabLab, Living Lab, Muséomix, la communauté #CultureNumQC, les événements Composite du Conseil des arts de Montréal et plusieurs communautés régionales; une communauté existe pour chacun des acteurs du milieu Il suffit de trouver la communauté qui rejoint le plus vos intérêts. L’entraide, la collaboration et le partage sont véritablement au cœur de la transformation numérique du secteur culturel. 

À l’automne 2016, Québec numérique obtenait aussi le mandat de développement de la Stratégie d’accompagnement du milieu culturel à l’ère numérique (mesure 99), donc j’ai été la première chargée de projet. J’ai poursuivi l’accompagnement de la mesure jusqu’en 2020. Cette mesure visait alors à : 

« Mettre en place des mécanismes d’accompagnement en matière de développement culturel numérique au bénéfice de l’ensemble du réseau de la culture et des communications ».

Ainsi, cette Stratégie proposait une action concertée de l’ensemble de l’écosystème d’accompagnement du Québec. S’il y a eu une certaine mobilisation au départ, l’engouement semble s’être effrité au fil du temps; les différentes parties prenantes n’ayant vraisemblablement pas toutes adhéré à la vision du ministère. Ainsi, en mars 2022, le MCC n’a pas reconduit cette mesure.

Enfin, en 2019, le MCC a marqué un grand coup en proposant la mesure 120 du Plan culturel numérique du Québec – Mettre sur pied et animer un réseau d’agents de développement culturel numérique (ADN) (désolée pour mon manque d’objectivité 🙃à titre d’ancienne animatrice du Réseau ADN!). Pourtant, les ADN n’ont pas tous reçu un mandat d’accompagnement dans leur milieu; nombreux sont ceux qui devaient agir en priorité en soutien au sein de leur organisme d’accueil ou agir comme agent de concertation sectoriel ou territorial.. De même, la réflexion au sujet de  la pratique d’accompagnement n’a pas fait l’objet de discussion au sein de la communauté. Si la mise en place du Réseau ADN a littéralement amené une bouffée de fraîcheur dans le milieu culturel, il faut maintenant se questionner sur la façon d’entrevoir l’apport des ADN dans l’écosystème d’accompagnement au Québec.

2022 : À la croisée des chemins

De mon point de vue, le chemin parcouru dans le chantier de l’accompagnement et de l’appropriation est exceptionnel (l’offre est définitivement plus importante qu’auparavant!), mais avons-nous vraiment fait le bilan des actions passées avant et afin de définir l’avenir? 

L’imminente fin du PCNQ pourrait être à nos portes en mars 2023. Du moins, les milieux artistiques et culturels sont en attente de propositions face à la reconduction ou à l’avenir de ce plan.   

À la suite des récentes élections au Québec, nous pouvons laisser Mathieu Lacombe, le nouveau ministre de la Culture et des Communications, prendre acte de ses dossiers et des enjeux prioritaires. La reconduction du PCNQ fera-t-elle partie des priorités? 

Entre temps, permettons-nous de brainstormer un peu! 

Comment pourrions-nous mieux accompagner le milieu des arts et de la culture face aux défis numériques?

Quel bilan faites-vous des stratégies d’accompagnement?

Les nouveaux joueurs dans l’écosystème d’accompagnement.

L’écosystème d’accompagnement continu d’évoluer et fait place à de nouveaux joueurs qui se mettent en marche. L’apport des ADN fait émerger de multiples initiatives sectorielles et régionales plutôt inspirantes. Voici quelques exemples :

  • Après avoir documenté les enjeux du secteur, le Conseil québécois du théâtre (CQT) propose plusieurs initiatives pour « exister sur le Web » en proposant des formations, des ateliers Wikidata ou des outils de sensibilisation telle qu’une capsule sur la découvrabilité. En juin 2022, le CQT a également proposé l’événement Agora numérique.
  • Culture Laurentides propose une Brigade numérique permettant d’accompagner le développement de littératie numérique auprès d’acteurs du milieu culturel de la région.
  • Au Saguenay—Lac-Saint-Jean, Numérique 02 a été un événement, un incubateur et souhaite maintenant entreprendre les premiers pas vers un programme destiné au bien-être et à utilisation responsable et durable du numérique. De plus, l’organisation embrasse la littératie de la donnée en proposant sept fiches éducatives sur la donnée.

Ces exemples sont une infime partie des offres d’accompagnement existant actuellement. Il faut y ajouter les initiatives hors réseau ADN comme La machinerie des arts ou celle de La danse sur les routes.  Et, il y en a sûrement d’autres. 

Nous n’avons pas un portrait clair des clientèles qui sont ou ne sont pas desservies par ces programmes. Je me permets d’affirmer que certains secteurs ou régions pourraient être moins bien desservis que d’autres.

Également, j’observe l’émergence de hubs régionaux et locaux à travers le Québec. Je ne peux passer sous silence le parcours exemplaire du hub technocréatif du Croissant boréal et celui du 0/1 Hub numérique en Estrie. Ces deux démarches ont bien compris comment une stratégie d’accompagnement des milieux s’articulent autour d’un écosystème. De plus, de façon plus négligeable, il ne faudrait pas passer sous silence d’autres initiatives comme ioPME initiée par le LLio et autres hubs initiées par les MRC.

…et puis, les OTN arrivent!

Nés de l’initiative d’Offensive de transformation numérique (OTN), pilotée par le ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI), ces OTN visent à « accélérer le virage numérique des entreprises de l’ensemble des secteurs d’activité et des régions du Québec ». L’ensemble des secteurs et des régions, dites-vous? C’est ambitieux!

Événements Attractions Québec a déjà lancé son programme « Virage numérique », en collaboration avec le ministère du Tourisme.

La Piscine, quant à elle, lance son programme « Trajectoires numériques » le 3 novembre prochain. « Ce projet, déployé à l’échelle du Québec, a pour vocation de sensibiliser et d’accompagner 600 organisations des industries culturelles et créatives à innover dans leurs modèles d’affaires à travers le numérique. » En espérant que l’organisation mettra en place quelques initiatives afin de favoriser l’accompagnement des entreprises culturelles en régions. Ou mieux encore, permettez-moi de rêver, pourrait-elle développer des alliances stratégiques avec des partenaires régionaux de l’écosystème?

Il va s’en dire que si vous êtes gestionnaire d’un festival, vous pouvez déjà vous orienter vers ces deux programmes d’accompagnement. D’autres initiatives devraient être annoncées.

Si vous êtes gestionnaires ou travailleurs culturels d’une organisation artistique ou culturelle, restez à l’affut et surtout poser des questions (à moi, ou dans les groupes déjà mentionnés plus haut)!

Entre fascination et stupéfaction

Je dois dire que j’observe l’évolution de l’écosystème d’accompagnement avec fascination et stupéfaction. 

J’ai une profonde fascination de constater le chemin parcouru par les organisations artistiques et culturelles. Je constate que les programmes d’accompagnement, propulsés grâce à l’apport du PCNQ, ont réellement permis de développer la littératie numérique et ont même permis à certaines organisations de faire face à des défis majeurs (adaptation de leur modèle d’affaires, projet accessibilité au public numérique, découvrabilité, etc.). 

Bien qu’on n’ait toujours pas en main de bilan ou d’évaluation des impacts des programmes passés sur l’amélioration de la littératie numérique, j’ai la profonde conviction qu’il reste des angles morts. Avons-nous vraiment rejoint l’ensemble des clientèles? Que pourrions-nous faire de mieux ou de différent pour la suite du déploiement de ce genre de programme?

À l’aube 2023, j’entrevois une période un peu chaotique dans l’offre d’accompagnement.  Pour ceux qui me connaissent bien, j’aime le chaos. J’aime aussi provoquer le chaos créatif. « Il faut accepter, voire provoquer, le chaos. Prendre du recul créatif. »

Source : formation «Collaborez + et mieux, adoptez la pensée design», 2018, LLio.

Il n’y a pas de réponse parfaite. Il suffit que le plus de gens y réfléchissent et se mettent action. Cela ne pourra qu’être au bénéfice du milieu.

À propos de ce billet :

Ce billet s’inscrit dans une série de billets marquants le 10e anniversaire de mon entreprise Cpour.ca. Ces billets ont pour objectif de mettre en lumière des projets manquants ou des collaborations inédites à travers la petite histoire de Cpour.ca. Ceux-ci sont réalisés grâce à la complicité de ma collaboratrice et amie Martine Rioux (Scriba) qui m’appuie avec sa grande expertise de communicatrice et rédactrice de contenu.


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Post by chenierannie

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